Traquer les paléo-séismes en Ardèche
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A la recherche de failles actives en Ardèche : Campagne de tranchées le long du réseau de failles des Cévennes, janvier 2022
A l’origine…
Le séisme de magnitude 5.2 qui s’est produit dans la région du Teil le 11 novembre 2019 est un évènement historique sans précédent qui pose de nombreuses questions, notamment en matière d’aléa sismique. Par exemple : La faille de la Rouvière avait-elle déjà rompu dans le passé ? D’autres failles, notamment dans cette partie nord-est du réseau cévenol, pourraient-elles également produire des séismes aussi forts, voire d’intensité supérieure ?
Pour répondre à ces questions, des investigations paléosismologiques sur le segment de faille de la Rouvière sont menées dans le cadre du projet FremTeil. Elles doivent permettre de déterminer si les dépôts Quaternaires qui reposent le long de la faille ont été déformés par des séismes (déformations cosismiques) avant ce séisme de 2019. L’objectif initial des paléosismologues est donc de repérer ces zones de dépôts récents le long des failles pour y creuser des tranchées.
Dégâts observés dans le hameau de La Rouvière à proximité de la faille sur laquelle s’est produit le séisme de Le Teil le 11 novembre 2019 © M. Causse, ISTerre Grenoble.
Interview de Jean-François Ritz, paléosismologue.
Interview de Kevin Manchuel, sismo-tectonicien chez EDF.
Les travaux préparatoires : sélection des sites
L’emplacement de la campagne de janvier 2022 a été décidé suite aux études préliminaires qui se sont déroulées après le séisme du Teil. En premier lieu, une cartographie aérienne a été réalisée en 2019 et 2020 par avion et drone. Grâce aux données recueillies, il a été possible de réaliser des modèles numériques de terrain.
Après avoir étudié ces modèles numériques de terrain pour faire un premier repérage des sites de tranchées potentiels, les scientifiques sont allés sur place pour repérer les emplacements « cibles ». Ceux-ci répondent à deux critères importants : l’existence de dépôts quaternaires propices à l’analyse des déformations (si déformations il y a), et la possibilité de faire venir un engin de chantier (pelleteuse). Une fois les cibles déterminées, le creusement des tranchées peut être réalisé. Une quinzaine de tranchées ont ainsi été réalisées en 2021 le long des 5 km de rupture de 2019.
La campagne de janvier 2022 doit permettre notamment d’explorer deux nouveaux sites à environ un kilomètre de la commune du Teil et du hameau de la Rouvière.
Vue aérienne du site choisi pour la campagne. En bas et au centre de l’image, les deux tranchées creusées en janvier 2022. Au fond, la plaine et Montélimar © Laurent Bollinger, CEA
J1 – 24 janvier 2022 / -2° au lever du soleil. Temps clair, pas de vent
Le rendez-vous est fixé devant une boulangerie dans le village du Teil à 10h30 pour les premiers arrivants de Montpellier, Strasbourg, Grenoble, Paris… Nous prenons un café et achetons le pique-nique du déjeuner avant de traverser le village en reconstruction : échafaudages, grues, déviations alternent avec des immeubles fraichement ravalés. Le village efface doucement les traces du séisme de 2019. La petite route grimpe ensuite vers le hameau de la Rouvière, durement touché lui aussi. Trois grues sont sur place et plusieurs chantiers sont en cours pour réparer ou reconstruire les bâtiments endommagés ou détruits.
Juste au-dessus de la route se trouve un champ de lavande qui s’élève doucement vers le Sud-Ouest. Il est bordé au Nord-Ouest par une pente raide (l’escarpement) recouverte de ronces et d’arbres : la ligne de faille.
Une première tranchée y a été creusée en 2021. En ce matin de janvier 2022, la pelleteuse de Romain creuse une seconde tranchée à une vingtaine de mètres au-dessus de la première. Quelques membres de l’équipe y entament le minutieux travail de nettoyage des murs et du fond rocheux afin d’éliminer les traces de la pelle, d’aplanir et de nettoyer les surfaces pour pouvoir observer et analyser le plus finement possible leur composition. Il est important d’effectuer rapidement cette préparation, avant que l’argile, très présente ici, ne sèche.
Pendant ce temps, la pelleteuse effectue une nouvelle excavation entre les deux autres. Le même processus y est engagé.
En milieu de journée, l’équipe s’est étoffée de nouveaux arrivants. Nous sommes maintenant une douzaine sur site.
24 janvier 2022. Pause déjeuner au soleil © Véronique Bertrand, Eost Strasbourg
Après le déjeuner pris au soleil au milieu du champ de lavandes, une partie des participants accompagne Romain et sa pelleteuse vers un autre site, à quelques centaines de mètres. S’y trouve une maison isolée en haut d’une petite butte qui surplombe un autre champ de lavandes. Elle a subi de graves dommages durant le séisme de 2019 et a été jugée dangereuse par les experts. La famille loge dans un mobile-home en attendant la construction d’une nouvelle demeure en contrebas.
Une nouvelle tranchée est creusée derrière la maison. Au fond, le long la pente rocheuse constituant la faille, une fracture en « V » montre que la brèche a été re-fracturée après l’oligocène. Il faut maintenant vérifier si des éléments de sol quaternaires (cailloutis, grèses et autres colluvions périglaciaires) sont éventuellement pris dans ce système de fractures.
La pelleteuse continue ensuite sa progression le long d’une piste sur une cinquantaine de mètres pour attaquer la dernière excavation. Elle est réalisée presque au sommet de l’escarpement, sur environ 2 mètres de profondeur et cinq mètres de long. Le froid tombe avec la fin de l’après-midi. La lumière baisse. L’engin de chantier s’arrête.
L’équipe rejoint Montélimar pour un dîner pris en commun qui permet de commenter la journée et les premières observations.
24 janvier 2022. La pelleteuse creuse une première tranchée en marge du champ de lavande © V. Bertrand, Eost Strasbourg
24 janvier 2022. Nettoyage des parois d’une tranchée © V. Bertrand, Eost Strasbourg
24 janvier 2022. Une des tranchées creusées aujourd’hui présente une fracture en « V » indiquant que la brèche a été re-fracturée après l’oligocène. Un minutieux nettoyage de la paroi est entrepris afin de préparer la suite des investigations © V. Bertrand, Eost Strasbourg
J2 – 25 janvier 2022 / -2° au lever du soleil. Temps clair, pas de vent
Dans le froid matinal, le nettoyage des parois se poursuit. Divers outils sont utilisés, dont les « scrappers », grattoirs ressemblant à de petites truelles coudées disposant d’un côté tranchant et d’un bout pointu, mais aussi des brosses, des pinceaux, des couteaux et quelques outils de jardinier.
Lorsque ce fastidieux et long travail préparatoire est terminé, des photographies sont prises en les superposant partiellement, ce qui permettra de construire une photomosaïque pour chacun des deux murs de la tranchée. Ensuite, comme dans les travaux d’archéologie, un quadrillage de 50 cm sur 50 cm est réalisé à l’aide de clous et de fils bien visibles sur chaque côté intérieur de la tranchée.
Le quadrillage permettra d’effectuer un (re)levé (ou log) sur papier millimétré des deux murs et de leurs composantes lithologiques, avec une résolution de 1/10e. Les scientifiques opèrent par équipes de deux : l’un mesure la position et les dimensions des divers éléments (inter-strates, clastes, fissures, etc..) par rapport à la grille de référence, l’autre reporte ces éléments sur le papier millimétré à l’aide d’un crayon de papier ou de crayons de couleur.
Autant le pique-nique de midi, pris dans l’herbe au soleil, a été agréable et relaxant, autant l’hiver se rappelle à nous dès que le soleil se cache, vers 17 heures sur les sites les mieux exposés. Alors, le froid et l’humidité tombent et chacun rêve d’une douche bien chaude et du repos à venir. Les treize membres de l’équipe se rejoignent aux voitures et regagnent Montélimar. A 20 heures, rendez-vous au restaurant pour un dîner convivial avant de rejoindre les hôtels.
Mathieu Ferry est enseignant-chercheur à l’Université de Montpellier et au CNRS.
Fin de la campagne
La campagne se poursuit ainsi jusqu’à la fin de la semaine avant que chacun regagne son laboratoire. La datation des échantillons prélevés dans les 2 nouveaux sites de tranchées permettra, espérons-le, de connaître l’âge des déformations observées. A ce stade il n’est pas possible de conclure si celles-ci sont contemporaines du séisme de 2019, et /ou d’un des deux paléoséismes caractérisés antérieurement. Il pourrait s’agir peut-être même de traces encore plus anciennes. A suivre…
En savoir plus
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- Consultez la page Découvrir la structure des failles cévenoles – 2022 qui raconte la campagne de forage qui se déroulait en parallèle de cette campagne paléo-sismologique
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- Ressources vidéos
Quadrillage d’une paroi de tranchée afin de préparer le travail de log © V. Bertrand, Eost Strasbourg
25 janvier 2022. Tectoniciens, paléo-sismologues, sismologues discutent des éléments du sol identifiés dans la composition des parois de l’une des tranchées © V. Bertrand, Eost Strasbourg
Relevé sur papier millimétrique de la composition de la paroi d’une tranchée © V. Bertrand, Eost Strasbourg